Entretien avec Gurshad Shaheman et Shady Nafar
En résidence au Phénix, Gurshad Shaheman, accompagné de la comédienne Shady Nafar, prépare une nouvelle création en forme d’installation sonore et performative, Ce qui reste de l’amour. Ensemble, ils recueillent des récits de vie émanant de personnes de passage en psychiatrie au Centre Hospitalier de Valenciennes. Ils les questionnent sur l’amour et le désir, ou plus largement sur ce qu’elles ont envie de partager. La collecte de ces paroles constituera la matière de cette œuvre originale.
Comment vous sentez-vous à l’issue de cette semaine de résidence ?
Shady Nafar : Je me sens intensément habitée par ces rencontres et très reconnaissante vis-à-vis de tout le travail effectué en amont par Dorothée Deltombe, directrice de projets au Phénix. Les soignants ont été très ouverts et les patients très en confiance alors que ce ne sont pas des ateliers classiques.
Gurshad Shaheman : Je suis très touchée par la générosité des personnes. Je pense aussi que les relations de confiance entre le Phénix et le Centre Hospitalier de Valenciennes ont facilité ces rencontres.
Avez-vous élaboré une méthode au préalable ? Ou vous êtes-vous constamment adaptés ?
Shady Nafar : Nous avons contextualisé notre démarche auprès des patients et des soignants. Et cela a été de vraies discussions, fondées sur l’écoute. Nous avons évoqué les choses de la vie. On a fait un atelier d’écriture, on a lu des textes. Cela leur a permis de comprendre où nous nous situons. Un véritable partage qui marque un moment singulier. On n’est pas psy, on n’est pas soignant. Nous avons, avant tout, rencontré des personnes.
Gurshad Shaheman : Chaque personne est différente, singulière. Les patient.es sont habitué.es à se raconter, à s’autoanalyser. Hier, après avoir parlé quarante-cinq minutes, une jeune femme m’a dit : « J’ai beaucoup parlé. Maintenant, c’est à toi. » Et je me suis raconté à mon tour. C’est un échange.
Ils sont investis dans le projet. Ils savent qu’ils sont un maillon dans la chaîne de création. Je tiens à l’horizontalité du processus.
Cette thématique est très intime. Est-ce que c’est facile de l’aborder ?
Shady Nafar : Au début, nous étions sur « ce qui reste de l’amour ». Nous sommes finalement allés davantage vers des récits de vie. On a un peu décentré le propos pour qu’ils se sentent libres de s’exprimer.
Gurshad Shaheman : Je suis très instinctif. Je m’embarque dans une création pour des raisons personnelles, parfois obscures. Dans ce cas précis, c’est parce que j’ai été touché intimement. Mais quand je les rencontre, je remets en perspective ma démarche de manière plus rationnelle : ce qui m’anime profondément, c’est de déstigmatiser des parcours de vie qui sont très stigmatisés.
L’amour existe partout, il est dans tout. Il y a l’amour plein, réciproque, épanoui, ou bien l’amour unilatéral. Il y a l’amour passionnel, l’amour platonique. L’amour entre parents et enfants. Quand une personne parle de son addiction, cela vient combler le sentiment de manque d’amour. Tout se rattache à ce sujet-là. C’est une bonne porte d’entrée pour échanger.
Est-ce que tu as envie d’amener à des prises de conscience au niveau de l’ensemble de la
société ?
Gurshad Shaheman : Cette question est liée étroitement à la définition de l’artiste. Quand j’étais jeune, je m’interdisais d’écrire, je pensais que je n’avais rien à dire. Aujourd’hui, j’ai compris que ce qui est fondamental n’est pas ce que tu as à dire, mais ce que tu défends : ton positionnement par rapport à la société, ta conception du vivre ensemble. Le fait de repenser les relations entre la norme et la périphérie, la norme par rapport à la marge.
Je donne à voir une autre manière d’aborder l’autre. Les autres ont une voix, je tends l’oreille, puis je partage ma compréhension de ces récits. Si une personne a un déclic en les entendant, c’est un cadeau énorme.
On n’a pas à être surpris du talent des personnes en psychiatrie. Leur culture, leur éducation, leurs aspirations sont bien présentes. Nous pouvons tous être concernés. La limite entre ta capacité à gérer le quotidien, tes besoins, et le moment où tu n’y parviens plus est très ténue.
Propos recueillis le 19 octobre 2022
Création prévue le 21 avril 2023 au Monastère Royal de Brou à Bourg-en-Bresse dans le cadre du dispositif Mondes nouveaux dont Gurshad Shaheman est lauréat.
Les coproducteurs sont le CMN/Mondes nouveaux et le CDN de Limoges.
Cette installation est destinée à tourner à partir de 2023/24.